Les boues qui ont semé la destruction

La rupture du barrage Samarco près de Mariana et la longue lutte pour défendre les droits des personnes et la justice

CIDSE

Un sillage de destruction

Ce dossier est aussi disponible en Anglais, Allemand, Espagnol et Portuguais.

Le 5 novembre 2015, le barrage Fundão s’est rompu au niveau de la municipalité de Mariana, dans l’État du Minas Gerais, au Brésil.↗

Des millions de mètres cubes de résidus de minerai de fer ont formé un torrent de boue qui a détruit des villages, y compris 349 maisons, écoles et églises, et a contaminé les rivières Gualaxo do Norte, Carmo et Doce.↗Au total, 19 personnes ont trouvé la mort.↗Le barrage appartenait à l’entreprise minière Samarco Mineração S.A., une coentreprise à responsabilité limitée détenue par la compagnie anglo-australienne BHP Billiton Brasil Ltda. et par la compagnie brésilienne Vale S.A.↗

Selon la firme d’experts-conseil Bowker Associates, considérant l’effet conjugué du déversement massif de boues (entre 32 et 63 millions de mètres cubes selon les estimations)↗,l’ampleur de la dévastation sur 680 km et les dommages (qui représenterait entre 5 et 55 milliards de dollars), ce désastre bat le record mondial des catastrophes produites par l’industrie minière à trois niveaux. ↗

En ce qui concerne les réparations et l’indemnisation, la plupart des victimes attendent encore que justice soit faite.↗                          

La ville de Bento Rodrigues dévastée par les boues

Le complexe de Samarco comportant un bassin de retenue des résidus de minerai de fer ne disposait pas de système d’alarme.[8] Par conséquent, lorsque le barrage Fundão a cédé le 5 novembre 2015, la population de la ville de Bento Rodrigues, située à 2,5 km en aval du barrage, n’avait pas été avertie de l’incident.↗

Les habitants ont été surpris par une coulée de boue d’au moins 32 millions m3 ↗qui a frappé de plein fouet le petit village de Bento Rodrigues. Le contenu du barrage représentait un volume de 56 millions m3,  correspondant à 24 800 piscines olympiques.↗

Cela n’a pris que onze minutes

En à peine onze minutes, ↗ les boues ont atteint Bento Rodrigues. Sur son passage, le torrent a balayé murs et maisons, enseveli les rues et les places, détruit les arbres et les jardins des habitants, et emporté les enclos et le bétail.↗Ceux qui ont entendu le bruit de loin ont tout juste eu le temps de fuir la coulée pour sauver leurs vies et celle d’autrui. ↗

“Le barrage a cédé!”

« Le barrage a cédé », s’est écriée Paula Geralda Alves, entendant la nouvelle à la radio. Elle a aussitôt sauté sur sa moto pour aller prévenir ceux qui se trouvaient à Bento Rodrigues, klaxonnant pour alerter tout le monde. « D’habitude mon klaxon n’est pas fort, mais ce jour-là, je ne sais pas pourquoi, il l’était », a-t-elle expliqué plus tard. « Quand ça s’est produit, je me suis empressée de faire monter jeunes et moins jeunes sur un camion et j’ai aidé une voisine à porter son père qui ne pouvait pas marcher. Alors seulement, je suis montée sur une colline et j’ai regardé en bas. De là, j’ai vu que tout était couvert de boue. Bento était détruite. » ↗

Les boues continuaient à s’épandre

Après Bento Rodrigues, les boues ont détruit les habitations dans le district de Paracatu de Baixo.↗

Et les boues continuaient à s’épandre.↗

Quatorze heures après que le barrage a cédé, le torrent de boue qui avait déferlé sur un nombre incalculable de maisons et de fermettes à Pedras, à Gesteira et dans d’autres villages sur son chemin, s’est rendu à la ville voisine, Barra Longa. Même s’il s’était écoulé 11 heures depuis la rupture du barrage à Bento Rodrigues, les habitants de Barra Longa ont affirmé ne pas avoir été prévenus.↗ La boue a détruit les murs, les maisons, les écoles, les églises et enterré les routes et les ponts sur son passage.↗

La boue s’est engouffrée dans les vallées des rivières Gualaxo do Norte, Carmo et Doce

Et la boue coulait toujours.

Le barrage Fundão était situé environ 1 200 mètres au-dessus du niveau de la mer. La boue s’est dirigée vers la rivière Gualaxo do Norte, envahissant son lit, et elle a continué à couler ainsi sur 55 km jusqu’à la rivière Carmo, dont elle a couvert l’étendue de 22 km avant d’arriver à la Doce. Les boues de résidus miniers sont passées à travers les écluses et les turbines du Barrage hydroélectrique de Risoleta Neves, à Candonga. Durant les 17 jours suivants, elles ont parcouru les 580 km restant de la Doce et traversé les États de Minas Gerais et de l’Espírito Santo, avant d’atteindre l’embouchure de la rivière sur l’océan Atlantique, par la plage de Regência à Linhares, dans l’Espírito Santo. ↗

Le sillage de la destruction

... et la vie de ceux qui ont été touchés    

Sur l’étendue totale de la Doce de 853 km, 586 km ont été affectés par le torrent de boue.↗

Dix-neuf personnes ont trouvé la mort. D’après la déclaration des procureurs publics des États du Minas Gerais et de l’Espírito Santo et 349 familles se sont retrouvées sans abri, leurs maisons ayant été complètement détruites. Deux établissements médicaux, quatre écoles et huit ponts ont également été rasés. Sur l’ensemble des 195 propriétés directement touchées, 25 ont été totalement anéanties avec 75 % à 100 % de superficie perdue. Les lieux les plus touchés par la coulée de boue contaminée, déclarés par le ministère public comme étant « devenus impropres à l’habitation humaine », étaient les districts et sous-districts de Mariana, notamment Paracatu de Baixo, Camargos, Águas Claras, Pedras, Campina Barreto, Gesteira, Ponte da Gama et la ville de Barra Longa.↗

Pallier l’absence d’informations de source officielle

Compte tenu des dégâts et de la lenteur des autorités publiques à compiler et à diffuser des analyses biologiques, microbiologiques, toxicologiques et zoologiques détaillées et fiables, les régions directement touchées par le désastre ont été contraintes d’y travailler de manière volontaire pour pallier l’absence d’informations de source officielle sur les conséquences de la rupture du barrage Samarco. Dante Pavan, biologiste du groupe de recherche indépendant d’évaluation des répercussions environnementales, GIAIA, a été un des premiers à analyser la boue et comment le vivant y réagissait. Il s’est déplacé à Bento Rodrigues en Décembre 2015, quelques semaines après que la coulée de boue a détruit le village du district de Mariana.↗

Qu’en est-il des habitants et des victimes?

Devant la dévastation à Bento Rodrigues où il résidait, Cristiano a peine à croire, encore aujourd’hui, « que ça s’est effectivement produit. C’est arrivé pour de vrai! ».↗

Résidents traumatisés

Les survivants vivent désormais dans l’angoisse. Ils sont traumatisés.↗ « Je prends des somnifères pour bien dormir. On ne sait jamais, si c’est arrivé une fois, ça pourrait se reproduire », dit Dona Aparecida, résidente de Barra Longa.↗

Les boues ont touché des terres fertiles

En aval du secteur touché, la coulée de boue a également affecté les terres fertiles de petits exploitants familiaux qui cultivaient traditionnellement sur les rives de la rivière. José, petit exploitant agricole de Tumiritinga, dans l’État du Minas Gerais, a dû abandonner ses cultures de betteraves, de carottes et de laitue à l’endroit où la coulée a atteint sa terre. Il était désormais impossible de cultiver une terre polluée par la boue toxique. ↗

Marlene, petite exploitante également résidant à Tumiritinga (MG), décrit la vie d’avant et ce que la boue lui a fait perdre.↗

Eau potable, l’eau de la vie

Dans les États du Minas Gerais et de l’Espírito Santo, les réserves d’eau potable et d’eau pour le bétail et pour l’irrigation étaient contaminées.↗On a dû organiser un approvisionnement par camions-citernes pour éviter que les résidents et le bétail ne meurent de soif.↗

Aux termes de la plainte déposée par le ministère public, la marée de boue contaminée a causé « l’interruption totale ou partielle de l’approvisionnement en eau dans 12 villes, dont Alpercata/MG, Governador Valadares/MG, Tumiritinga/MG, Galileia/MG, Resplendor/MG, Itueta/MG, Aimorés/MG, Baixo Guandu/ES, Colatina/ES et Linhares/ES, touchant environ 424 000 personnes ».↗

Il a fallu approvisionner par camions-citernes de nombreux résidants de villes dont les réserves provenaient de la rivière Doce.↗À Colatina et dans d’autres villes, on a vu des disputes éclater à l’occasion de la distribution d’eau minérale qui se faisait au cours des premières semaines. Mario Pinto, conseiller municipal de Colatina a parlé de « files qui s’étiraient sur des kilomètres, de gens qui se disputaient pour obtenir de l’eau et qui en venaient même aux poings ». ↗

La coulée de boue et le poisson

Un rapport établi par la compagnie de réassurance Terra Brasis Resseguros a estimé le nombre d’habitants de la région qui ont été privés d’eau à 3,5 millions.[34] Selon le rapport, environ 3 000 pêcheurs ne peuvent plus pêcher dans la Doce et son estuaire où elle se jette dans la mer.↗

Même en amont, la vie aquatique de la Doce a subi un dommage incalculable. La pêche artisanale s’y est trouvée sérieusement affectée depuis.↗

La Watu n’est plus ce qu’elle était

Les boues ont également touché les territoires appartenant au people Krenak, situés sur les rives de la Doce. Ce peuple autochtone occupe une zone d’une superficie de 4 900 hectares à Resplendor, dans l’est de l’État du Minas Gerais, à environ 500 km de sa capitale Belo Horizonte.↗

Samarco a dressé des barrières autour de la rivière afin d’empêcher les Krenak de s’approcher de l’eau contaminée. Suite aux protestations de la population, elles ont été retirées.↗

La Doce, ou Watu, comme les Krenak l’appellent, n’est plus ce qu’elle était. La Watu d’autrefois n’est plus. Il fut un temps où la vie des Krenak se définissait par le flux de ses eaux. Pour eux, elle était sacrée et dotée d’un pouvoir purificateur. Ils tenaient leurs rituels sacrés sur ses rives. Pêcher, chasser, étancher sa soif, utiliser les eaux pour l’irrigation, tout s’est arrêté avec l’arrivée des boues. Tout un mode de vie a été oblitéré en un instant. Personne ne s’approche de la rivière maintenant. Les sept villages Krenak ont été contraints à s’adapter et donc à acheter au supermarché en ville.↗

Désormais, les Krenak disent que la Watu est morte. La Watu n’est plus ce qu’elle était. La Watu, « cette rivière, représentait tout pour nous », Daniel Krenak dit-il. « Regardez l’état dans lequel elle se trouve maintenant.».↗

Les populations Tupiniquim et Guarani, dont les territoires Caieiras Velhas II, Comboios et Tupiniquim se trouvent dans la municipalité d’Aracruz, dans l’État de l’Espirito Santo, ont également été touchées. L’interdiction de la pêche et la destruction des ressources halieutiques ont mis leur sécurité alimentaire en péril.↗

L’eau de la Doce

… L’eau est-elle douce (doce en Portugais) ou amère?

Sans surprise, le doute persiste dans l’esprit des gens quant à la qualité de l’eau provenant de la Doce

Dans la municipalité de Baixo Guandu par exemple, les gens dépendaient de la Doce pour s’approvisionner en eau. Le service indépendant des eaux et des égouts de la ville, SAAE, a entrepris d’examiner la qualité de l’eau de la Doce peu après la rupture du barrage. On y a détecté la présence de particules métalliques de plomb, d’aluminium, de fer, de baryum, de cuivre, de bore et de mercure, entre autres. « La situation se résume en deux mots : rivière morte », le directeur du SAAE, Luciano Magalhães, a-t-il affirmé. « Elle n’est plus bonne à rien, ni pour l’irrigation, ni pour les animaux, et encore moins pour la consommation humaine. On ne peut pas s’imaginer un pire scénario. La Doce n’est plus. Elle semble contenir tout le tableau périodique des éléments! » .↗

Samarco nie ces affirmations. Dans un rapport, l’entreprise déclare : « concernant la qualité de l’eau de la Doce, globalement, les résultats montrent une augmentation du niveau de métaux dans l’eau immédiatement après la marée et pendant une courte durée par la suite (quelques jours). L’essentiel de cet accroissement n’est pas directement en lien avec la composition chimique des résidus qui contiennent principalement du silicium et de l’oxyde d’aluminium et de fer. La hausse est attribuable à la remise en suspension de dépôts prééxistants de particules métalliques dans le lit de la rivière. Par conséquent, une fois la phase critique passée, la concentration est revenue aux niveaux enregistrés avant la rupture du barrage Fundão.» ↗

Le communiqué concluait : « En résumé, il est à noter que les résultats actuels indiquent que la qualité de l’eau est similaire aux à celle d’échantillons prélevés en 2010, publiés dans un rapport du 15 décembre 2015 du Service géologique du Brésil (CPRM) ».↗

Comment la population qui vit le long des rives de la Doce, qui dépendait de ses eaux, prend-elle ces affirmations? Peut-elle les croire? Comment faire confiance aux autorités qui, depuis 2010, n’ont pas mis à jour les données ou contrôlé la qualité de l’eau?↗

Manifestement, les opinions divergent au sujet de la qualité de l’eau. Une série d’organismes, tant au niveau des États qu’au niveau fédéral, devraient contrôler la qualité de l’eau de la Doce. ↗ Toutefois, compte tenu de la négligence chronique observée au niveau de l’État↗ , various civil society and citizen-led scientific groups are carrying out their own analyses of the environmental impacts of the bursting of the Fundão dam on the waters of the Doce. ↗Le Grupo Independente de Avaliação do Impacto Ambiental (GIAIA) fait partie de ces groupes scientifiques de citoyens.↗

Dans son rapport intérimaire sur la mission sur la rivière Doce, le groupe GIAIA a noté la présence d’arsenic, de manganèse et de plomb en quantités supérieures aux niveaux recommandés par la résolution 357 du Conseil national de l’environnement. ↗

En l’absence de normes légales pour le fer et l’aluminium, GIAIA a avancé l’observation suivante:

“Bien qu’il n’y ait pas de standards légaux permettant la comparaison, le fer (Fe) et l’aluminium (Al) sont présents en concentrations extrêmement élevées à tous les points de collecte d’échantillons qui ont été touchés par les boues de résidus […]. Ces niveaux élevés peuvent avoir des répercussions à moyen et à long termes, dans la mesure où la bio-disponibilité de ces éléments peut augmenter ou diminuer avec le temps (mois, années, décennies). En conséquence, il convient d’effectuer des vérifications périodiques afin de surveiller ce processus.”↗

Une étude ↗ de l’Université fédérale de Rio de Janeiro, en coopération avec le projet Rio de Gente et Greenpeace, a noté qu’outre la rivière, les eaux souterraines sont également contaminées par des métaux lourds qui nuisent au développement des plantes et qui entrent dans la chaine alimentaire, posant des risques à long terme pour la santé.↗

En juillet 2017, l’Université fédérale d’Espírito Santo (UFES) a publié un rapport relatif aux répercussions de la rupture de la digue de retenue de résidus à Mariana sur la Doce. ↗ Les scientifiques ont observé que « la rupture du réservoir de retenue de résidus de fer a entraîné une augmentation des concentrations de métaux et de métalloïdes principalement dans la colonne d’eau et ensuite dans les sédiments de surface »↗, et que « lorsque les boues provenant du barrage atteignaient la zone côtière de la Doce, elles affectaient les communauté zooplanctoniques. Elles modifiaient la structure de ces communautés, causant une perte immédiate de diversité et une augmentation de certaines espèces. Une baisse du nombre d’espèces a été enregistrée suite à l’accident, ainsi qu’un changement au niveau de la diversité et de la composition des espèces, démontrant d’une part que les effets persistaient dans la zone affectée et d’autre part, la possibilité de conséquences à long terme sur l’écosystème ». ↗

À qui et à quoi faire confiance?

La qualité de l’eau demeure une préoccupation pour les communautés locales ↗, notamment suite à la publication d’un certain nombre de déclarations des autorités.↗D’après l’Institut minier de gestion des eaux, les analyses démontrent que l’eau « provenant de chacune des rivières touchées ↗ dans le Minas Gerais est impropre à la consommation directe, à l’élevage du bétail, et à l’agriculture.↗ Dans l’Espírito Santo, des échantillons récents, prélevés en avril 2017, indiquent que le niveau des métaux dissous dans l’eau est sensiblement le même que celui mesuré immédiatement après la coulée en novembre 2015. D’après les analyses de l’UFES, le niveau de minéraux dans les eaux de l’estuaire de la Doce reste élevé.↗

Selon les autorités citées dans la presse, l’eau traitée, fournie par les compagnies de purification d’eau, est propre à la consommation.↗ Elle est toutefois boudée par les résidents qui doutent de sa qualité et préfèrent l’eau de sources autres que la rivière.↗

À qui et à quoi faire confiance? « En effet, les gens n’ont accès à aucun rapport d’analyse de l’eau garantissant qu’elle est acceptable », conclut l’évêque Joaquim Wladimir Lopes Dias du diocèse de Colatina dans l’Espírito Santo. ↗

Samarco Mineração S.A. est une compagnie à responsabilité limitée, une coentreprise détenue en parts égales par la compagnie anglo-australienne BHP Billiton Brasil Ltda. et la compagnie brésilienne Vale S.A.↗Samarco produit des boulettes de minerai de fer destinées à l’exportation vers les industries internationales du fer et de l’acier.↗

En 2013, le barrage Fundão a fait l’objet d’un processus de revalidation aux fins de sa licence d’exploitation. Selon une étude de l’Institute Prístino commandée par le ministère public de l’État du Minas Gerais, il y avait un risque de rupture du barrage.↗ L’étude évoque la « possibilité de déstabilisation pouvant entraîner l’effondrement de la structure »↗ Toutefois, le Conseil de politique environnementale du Minas Gerais a octroyé la licence d’exploitation↗ L’organisation de défense des droits humains, Justiça Global, conclut son rapport intitulé « Vallée de boue – rapport de l’inspection effectuée à Mariana suite à la rupture du barrage de résidus Fundão », en affirmant que l’entreprise et l’État du Minas Gerais étaient au courant de l’éventualité que le barrage cède.↗

Selon la déclaration de Roger Lima de Moura, agent de la police fédérale, le barrage était problématique depuis des années : « Le barrage était faible depuis le début de la construction. Dans le cadre du projet de modernisation, on a utilisé des matériaux non-recommandés. Par exemple, au lieu d’utiliser des pierres concassées et de la roche pulvérisée pour le drainage, on a employé du minerai fin »↗ D’après lui, l’entreprise avait pris un risque en choisissant d’exploiter le barrage et d’accroître sa production tout en sachant qu’elle le faisait dans des conditions inadéquates : « Il y avait également des problèmes en lien avec la surveillance et le fonctionnement de l’équipement »↗

Samarco rejette catégoriquement toute allégation de connaissance préalable des risques de rupture du barrage Fundão.↗

La politique nationale de sécurité des barrages stipule qu’en vertu de la loi ↗, la responsabilité d’effectuer une inspection de sécurité de ces structures relève des organisations et des organismes de l’union, des États, des districts fédéraux et des conseil locaux. Les responsables de l’octroi de licences et de l’inspection de la mine Samarco étaient l’Institut national de l’environnement ↗,le Département national des mines,↗ et la fondation de l’État du Minas Gerais pour l’environnement.↗ D’après l’analyse de la professeure Maria Galleno de Souza Oliveira, « les entités publiques fédérales et de l’État ont failli à leurs responsabilités en omettant d’expliquer de manière claire et transparente ce qui a été fait dans le contexte des inspections effectuées. Le parlement aurait dû au moins tenir compte du rapport de 2014 produit par l’Agence nationale de l’eau relatif à la sécurité des barrages au Brésil. Au sujet des risques, ce rapport indique que seulement 15 % des barrages étaient classifiés,↗ un nombre très limité sachant que le Brésil compte 14 966 barrages répertoriés »” ↗ Au cours des quatre dernières années, tous les barrages qui doivent faire l’objet d’une inspection ont reçu en moyenne une seule visite de la part du gouvernement fédéral. Dans le Minas Gerais, il n’y a que quatre agents,d’inspection des barrages.↗Le Tribunal des comptes de l’union (TCU) a qualifié l’inspection des barrages de « faible et lacunaire ».↗

Dans son ouvrage intitulé Desastre no Vale do Rio Doce: Antecedentes, impactos e ações sobre a destruição↗ (Désastre dans la vallée de la Doce: causes, effets et actions autour de la destruction), Bruno Milanez conclut son analyse dans les termes suivants : « Concernant les facteurs précis qui ont mené à la rupture du barrage Fundão, on est en présence d’omission et de négligence de la part de l’État en ce qui concerne l’inspection et l’octroi de licences d’exploitation, ainsi que de différentes lacunes au niveau de l’entretien par l’entreprise, y compris un plan d’intervention d’urgence inadéquat pour protéger les communautés autour du barrage, et l’érection du barrage au-delà de la hauteur autorisée ».↗

La rupture du barrage et les dangers potentiels de l’octroi de licences version « allégée »

Loin de tirer les leçons de la tragédie du barrage de Fundão, le cadre politique en regard de l’environnement et la sécurité des barrages empire. Au parlement, les politiciens dépêchent l’adoption de lois et d’amendements dans le but d’introduire davantage de « flexibilité » dans le système actuel d’octroi de licences d’exploitation, déjà significativement affaibli par l’emploi accru que les autorités brésiliennes font du Termo de Ajustamento de Conduta, un engagement de bonne conduite de la part des compagnies.↗ De surcroît, une nouvelle législation minière est en préparation depuis des années.↗ : un nouveau Code sur les mines qui n’a pas encore obtenu l’approbation de la Chambre des députés et du Sénat. Par conséquent, la manœuvre utilisée pour accélérer le processus pour les projets des compagnies minières est d’adopter des mesures provisoires signées par l’exécutif.↗La création d’une agence nationale de régulation des mines,↗ qui agirait sur la situation environnementale au moyen de politiques gouvernementales, a également été proposée dans le cadre du projet d’une nouvelle législation générale sur l’octroi des licences d’exploitation.↗ Cette initiative donnerait lieu à une nouvelle vague d’octroi de licences « allégé ». « Sa mise en application impliquerait un danger que le désastre de Mariana se répète »↗. Elle est donc dénoncée par plus de 250 organisations de la société civile.↗

(In)Justice et impunité pour les crimes commis?

Peu après la rupture du barrage à Mariana, Vale et BHP Billiton Brasil Ltda. ont avancé que la responsabilité en matière technique et financière incombait à Samarco, dans la mesure où cette dernière est une compagnie anonyme et, par conséquent, à responsabilité limitée, avec une équipe de gestion qui jouit d’une indépendance totale à l’égard des actionnaires.↗

Toutefois, en novembre 2016, la Cour de justice fédérale de Ponte Nova a déclaré recevable un recours contre quatre compagnies (Samarco, Vale, BHP Billiton et VogBR) et 22 individus, mettant en cause leur responsabilité dans la rupture du barrage Fundão.↗ Entretemps, en août 2017, les affaires criminelles ont été mises en suspens en raison d’erreurs de procédure en attendant des éclaircissements au niveau juridique.↗ Les conseillers juridiques des dirigeants de Samarco ont réussi à faire admettre que « les données analysées et utilisées pour préparer la requête par la Police fédérale et le ministère public fédéral avaient été obtenues en dehors du délai autorisé par le tribunal pour recueillir des communications téléphoniques nonobstant leur caractère confidentiel, en vertu de mesures exceptionnelles » ↗

En mars 2016, Samarco, Vale et BHP Billiton Brazil Ltda. ont signé un accord avec les autorités brésiliennes ayant pour objet « de remédier et de compenser le préjudice causé par la rupture du barrage ».↗. Cet accord a été largement dénoncé par la société civile.↗

En mai 2016, le ministère public fédéral a publié une estimation du dommage, à savoir 155 milliards de réaux, et il a exigé de Samarco, de Vale et de BHP Billiton Brasil Ltda. le paiement de ce montant à titre de réparation. ↗

Thiago da Silva, coordonnateur du Mouvement des personnes ayant subi un préjudice lié aux barrages dans la ville minière de Barra Longa affirme : « cet accident est une tragédie criminelle découlant de la négligence de l’État brésilien et de la cupidité des compagnies minières », en d’autres termes les signataires de l’accord. « Qui coordonne ce processus ? La compagnie minière criminelle. Il y a un problème. Les familles ont le droit de participer dans le processus. C’est essentiel! La société civile a le droit de mener ce processus. L’idée d’un accord de règlement n’est pas mauvaise en soi. Ce que nous voulons savoir est : quelle est la place des personnes touchées dans le processus? »↗

Accords et litiges

L’accord signé le 2 mars 2016 par Samarco, Vale et BHP Billiton Brasil Ltda ↗ d’un côté, et les autorités brésiliennes de l’autre, a été mis en suspens par les juges en juillet 2016.↗ Ayant affaire à des organisations telles que MAB, les personnes affectées se battent contre des accords qui passent sous silence l’existence des victimes. En janvier 2017, un nouvel accord a été signé entre Samarco et le ministère public fédéral, ↗ lui aussi suspendu fin janvier 2017 dans le cadre de la procédure judiciaire.↗.

Selon Guilherme Meneghin du service fédéral des poursuites de l’État du Minas Gerais du district de Mariana, lutter pour obtenir justice et réparation n’est pas facile au Brésil lorsque vous faites partie de victimes. Il a lancé neuf poursuites civiles à Mariana contre Samarco, Vale et BHP Billiton Brasil Ltda. Dans l’entrevue qui suit, il explique ce que le ministère public entreprend afin de garantir le respect des droits des personnes touchées par la rupture du barrage.↗

Mariana n’est pas un cas isolé

La défaillance du barrage Fundão de Samarco n’est pas un cas isolé. Un rapport établi par un groupe de travail des Nations Unies déclare : « Tandis que la cause précise de l’effondrement du barrage Fundão demeure inconnue, de tels accidents ne devraient jamais se produire. Cet incident met en évidence l’importance d’avoir des normes d’octroi des licences strictes, une surveillance réglementaire appropriée et des plans d’urgence. Le Groupe de Travail note avec préoccupation le fait qu’un grand nombre de barrages et de sites miniers dans le Minas Gerais, en particulier, et dans le pays en général, ont une capacité limitée, que ce soit au niveau fédéral ou des États individuels, à effectuer des inspections de sécurité afin de garantir qu’une telle tragédie ne se reproduise »↗ Selon la Commission internationale des grands barrages (CIGB) qui a répertorié 58 000 barrages à travers le monde, les bassins miniers cèdent dix fois plus souvent que les barrages des rivières. ↗ Les bassins de retenue de résidus peuvent être construits de trois manières différentes : « en amont » (où chaque couche additionnelle du barrage est posée sur la couche précédente, séchée), « au centre » (où la hauteur du barrage est érigée verticalement, sur le barrage lui-même) et « en aval » (où la hauteur du barrage est érigée en aval, renforçant ainsi la structure). La méthode la moins coûteuse est la construction « en amont » mais ce sont également les barrages les plus à risque de rupture.↗

Mariana – un cas d’envergure internationale

Différents rapports et plaintes ont été faits au niveau international, y compris à des comités des Nations Unies,↗ et à la Commission interaméricaine de l’OÉA.↗  Les organismes internationaux de défense des droits humains ont souvent des pouvoirs qui sont limités à la proposition de recommandations aux États membres sur les manières de mieux se protéger contre les abus des compagnies privées. Même lorsque ces organismes jugent les plaintes fondées, les procédures en question sont limitées : il n’est pas possible d’introduire un recours afin de faire respecter les recommandations ou les décisions d’un tribunal ou d’un organe exécutif international. Les procédures de plainte ne visent que le règlement des différends et non l’obtention d’une décision définitive. À cet égard, le recours n’est pas un outil sûr pour parvenir à l’indemnisation des personnes touchées. L’influence politique de telles décisions ne doit pas être sous-estimée, car l’image des gouvernements, et le rôle qu’ils souhaitent se faire reconnaître s’en trouvent affectés.

Le système des Nations unies en matière de protection des droits humains oblige les États contractants à promouvoir et à garantir la protection de ces droits. Par ailleurs, en vertu du droit international des droits humains, les compagnies ne sont pas considérées comme étant des personnes morales. Par conséquent, les conventions internationales ne sont contraignantes pour elles que si les États les ratifient ou reconnaissent l’effet direct des traités internationaux dans leur droit interne. En définitive, la volonté des États est déterminante en ce qui concerne les accords internationaux et leur interprétation. De plus, il y a des accords internationaux non-contraignants, tels que les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies ou encore les Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE. Qualifiés de droit mou, ces accords ne sont pas contraignants ; ils constituent plutôt des recommandations aussi bien à l’intention des entreprises en ce qui concerne leur conduite, que des États afin qu’ils transposent ces recommandations dans leur droit interne et leurs politiques. Ces normes internationales n’accordent aucun droit directement exécutoire aux victimes de violations de droits de la personne. Dans une économie mondialisée, les structures des entreprises et les rapports commerciaux sont de plus en plus complexes. Quelques États, ainsi que des organisations de la société civile, revendiquent une règlementation internationale permettant aux États de s’assurer que les entreprises poursuivent leurs opérations sans commettre d’abus des droits humains ou de l’environnement. Il va sans dire que les règlementations nationales ne permettent pas de répondre aux défis de l’internationalisation du monde des affaires. Les défis globaux nécessitent une réponse internationale. La libéralisation grandissante des marchés financiers et l’intensification de la transnationalisation des processus de production et des structures des entreprises signifient que les compétences et les fonctions des États en matière de réglementation sociale et environnementale ont peu d’effet sur la concurrence pour « les investissements et les conditions d’implantation favorables ». Depuis le début des années 1970, des efforts concertés ont été menés pour établir des systèmes contraignants de contrôle international relativement aux violations des droits humains par les entreprises. En juin 2014, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution, également appelée Initiative Équateur, qui a mis en place un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée afin d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur les entreprises et les droits humains. Pendant de longues années, les cadres facultatifs et les recommandations étaient le modèle dominant à l’ONU. Le processus lancé en vue de l’imposition de mesures juridiquement contraignantes pour permettre une protection effective des droits humains et pour prévenir et pallier les abus des entreprises change la donne.

La prochaine session du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée se tiendra fin octobre 2017. Certains éléments du projet d’instrument juridiquement contraignant sur les entreprises transnationales et autres entreprises et les droits humains ont déjà été publiés↗. Les organisations de la société civile soumettront des propositions de sujets pour discussion en lien avec le traité contraignant à venir. À titre d’exemple, le traité de l’ONU devrait définir les obligations extraterritoriales des États et combler les lacunes juridiques et pratiques qui existent au niveau de la protection des droits humains face aux activités des compagnies transnationales et autres entreprises.

Ces ambitions se heurteront sans doute à de nombreux obstacles, ce qui signifie que la procédure à l’ONU peut prendre plusieurs années avant l’adoption finale du traité. Toutefois, l’élaboration d’un cadre règlementaire juridiquement contraignant pour rendre les entreprises transnationales et autres entreprises responsables représente une avancée importante dans la promotion et la protection des droits humains.  

En attendant, les personnes touchées par des ruptures de barrages comme dans le cas de Mariana, doivent persévérer dans leurs revendications. Avec le soutien de mouvements sociaux, les victimes intentent des recours et organisent des manifestations.

Un tel événement s’est tenu un an après la rupture du barrage Fundão. Environ mille personnes représentant le MAB, les personnes touchées, les églises, les ministères d’églises et les ONG se sont réunies sur les ruines de l’école de district de Bento Rodrigues pour revendiquer que justice soit faite au profit des 19 victimes qui ont perdu la vie et des milliers de personnes affectées par les boues. Ils réclamaient que justice soit rendue!



« Mariana : Megaphone voices of affected people – fight corporate impunity » (Mariana: porte-voix des personnes affectées – combattre l’impunité des entreprises) Un projet de CIDSE - alliance internationale d’agences de développement catholiques et leurs membres.

Text: Christian Russau (FDCL)

Texte : Christian Russau (FDCL)

En collaboration avec :
Movimento dos Atingidos por Barragens (MAB) [Mouvement des personnes ayant subi un préjudice lié aux barrages]
The PACS Institute – Políticas Alternativas para o Cone Sul [Politiques alternatives pour l’Amérique du Sud)
Comissão Pastoral da Terra (CPT) [Commission de la pastorale de la terre] #lamaquemata Project [Boues qui tuent] Thomas Bauer (CPT) et Joka Madruga (Terra sem Males) [La terre sans mal]

Articulação Internacional de Atingidos e Atingidas pela Vale

Contacts:

Herbert Wasserbauer, DKA Áustria
Stefan Reinhold, CIDSE

Jusqu’en octobre 2017, les entrevues vidéo ont été enregistrées à l’occasion du premier anniversaire de la rupture du Fundão.

Les boues qui ont semé la destruction
  1. Un sillage de destruction
  2. Les personnes touchées par le désastre
  3. Les boues toxiques ont-elles affecté la santé des personnes?
  4. Qui sont les responsables?
  5. Déclaration juridique et contacts